«The Whale»: le troisième miracle de Darren Aronofsky (2024)

Hollywood et, disons-le, beaucoup, beaucoup de cinéphiles, n’aiment rien tant qu’un retour professionnel. Adulée un temps, une vedette enchaîne soudain les échecs, on s’en désintéresse, l’industrie l’oublie, et nous aussi: air connu. Sauf que, parfois, un ou une cinéaste se souvient de cet acteur, de cette actrice, qui l’a marqué jadis. Quelques interprètes reviennent ainsi, parfois, sous les projecteurs. C’est le cas de Brendan Fraser dans The Whale, où il bouleverse en homme en deuil de son amoureux. Sa peine infinie, il l’enterre sous la nourriture qu’il ingère jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Présenté au TIFF, le film est réalisé par Darren Aronofsky, un magicien du comeback: on y reviendra.

Très populaire dans les années1990 et au début des années 2000 avec des succès de box-office comme George of the Jungle et la saga The Mummy, Brendan Fraser a vécu une longue traversée du désert: opérations successives liées à trop de cascades, agression sexuelle alléguée par le président alors en poste de l’Association de la presse étrangère à Hollywood (qui chapeaute les Golden Globes), deuil, dépression…

Son corps d’athlète, pour lequel il a été admiré et qu’il a surentraîné pour ses films d’action, s’en est allé. Certes, dans The Whale, Fraser porte prothèses et maquillages grossissants (dont le poids s’élève à 300livres), mais son parcours rend l’artifice honnête. Et il y a le visage de l’acteur, si expressif, qui reste inchangé.

Sachant tout cela, et sachant aussi que Fraser, qu’importe la qualité des films où il apparaît, est un comédien foncièrement sympathique, on ne peut que se réjouir de ce rôle principal en or imaginé par le dramaturge Samuel D. Hunter, qui signe le scénario tiré de sa pièce. Le film n’est pas sans défauts, avec sa mise en scène répétitive et, oui, théâtrale: un constat étonnant puisque Darren Aronofsky est un cinéaste habituellement plus audacieux sur le plan formel (voir Black Swan). La porte de l’appartement de Charlie (Fraser) s’ouvre et se ferme en claquant si souvent qu’on se croirait par moments davantage dans un Feydeau que dans une tragédie américaine. Mais il y a Brendan Fraser, justement.

Quiconque l’a vu naguère dans School Ties ou Gods and Monsters sait déjà qu’il est un acteur dramatique solide, bien plus que ce que ses rôles populaires donnent à voir (quoique). Sauf que, dans The Whale, l’acteur atteint un véritable état de grâce. Il est appuyé par une distribution fabuleuse — Sadie Sink (Stranger Things), Hong Chau (Downsizing), Samantha Morton (Morvern Callar) —, mais c’est son film. Il le porte, l’élève, le transcende. Assister à sa performance est un privilège, et que l’on ait ou non des réserves par rapport au film, il est impossible, à la fin, de ne pas avoir les yeux noyés de larmes: de chagrin pour le protagoniste, de joie pour son interprète.

De beaux antécédents

On l’évoquait d’emblée, Darren Aronofsky n’en est pas à son premier miracle en matière de résurrection de carrières. On se souviendra qu’en 2008, son film The Wrestler avait ramené à l’avant-scène Mickey Rourke, ancien Beau Brummell des années1980 (voir 9 1/2 Weeks) devenu méconnaissable à force de chirurgies plastiques et de blessures subies en boxant. Le rôle de lutteur sur le retour, en constant danger de subir une blessure de trop, LA blessure de trop, lui allait comme un gant.

Son travail fabuleux dans le film lui valut une nomination aux Oscar. Hélas, la suite le vit enchaîner les mauvais choix. À l’inverse, sa partenaire à l’écran, Marisa Tomei, qui effectuait elle aussi un retour, et elle aussi nommée aux Oscar, eut subséquemment plus de flair que lui.

Or, avant The Whale et The Wrestler, il y eut Requiem for a Dream, le second film de Darren Aronofsky, et celui qui l’établit comme un cinéaste à suivre, en 2000. Basé sur le roman d’Hubert Selby Jr. contant les histoires de dépendances entrelacées d’un jeune homme, de son amoureuse, de son meilleur ami, mais également de sa mère, Requiem for a Dream révéla Jared Leto, permit à Jennifer Connelly de s’imposer en tant qu’actrice douée et adulte après avoir débuté dans le métier enfant… Surtout, le film permit aux cinéphiles de redécouvrir Ellen Burstyn.

Actrice au talent prodigieux, Ellen Burstyn devint une tête d’affiche au tout début de la quarantaine («sur le tard» selon les standards hollywoodiens à deux vitesses). Après des apparitions remarquées dans The Last Picture Show et The King of Marvin Gardens, elle décrocha en 1973 le rôle de Chris MacNeil, cette femme dont la fille est possédée dans The Exorcist: un rôle dont aucune star féminine d’alors n’avait voulu. On connaît la suite.

L’année suivante, sa prestation dans Alice Doesn’t Live Here Anymore, à nouveau en mère célibataire qui se débrouille vaille que vaille, lui valut l’Oscar de la meilleure actrice. Il y eut d’autres bons films, mais les actrices n’ayant pas le droit de vieillir à Hollywood, les premiers rôles se muèrent en rôle de soutien, puis le téléphone cessa de sonner. Burstyn était depuis des années une professeure de jeu réputée lorsque Aronofsky la contacta.

Dans Requiem for a Dream, elle put encore une fois exploser au cinéma, avec son nom tout en haut de la marquise. Sa composition de femme esseulée qui développe une dépendance aux pilules amaigrissantes afin de pouvoir enfiler une robe des jours heureux, cela, dans l’espoir de participer à un jeu-questionnaire télévisé, est hallucinante. Oui, elle décrocha ce faisant une nomination pour l’Oscar de la meilleure actrice. Depuis, elle n’a cessé de tourner, souvent avec des cinéastes intéressants. C’est la grâce que l’on souhaite à Brendan Fraser.

Le film The Whale prendra l’affiche le 9décembre.

Autres retours marquants

Marlon Brando dans The Godfather, de Francis Ford Coppola, et The Last Tango in Paris, de Bernardo Bertolucci, en 1972

Annie Girardot dans Les misérables, de Claude Lelouch, en 1995

John Travolta dans Pulp Fiction, de Quentin Tarantino, en 1995

Pam Grier dans Jackie Brown, de Quentin Tarantino (tiens), en 1997

Robert Downey Jr. dans Iron Man, de Jon Favreau, en 2008

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